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A propos du Centrum

par Pierre Warcollier
article publié en 1966 dans les cahiers du Budo

Nous avons vu que l’idée générale de la pensée extrême-orientale et de l’Aïkido est celle-ci: il y a un centre qui gère les mouvements de toutes choses. Ce Centre est représenté partiellement sur la Terre par les Pôles et totalement, dans la Terre, par son Centre. En ces lieux les oppositions s’annulent, et de ces lieux, partent au fur et à mesure qu’on s’en éloigne, des forces de plus en plus opposées, par couples.

 L’Aikido , en tant que méthode de défense, est l’acceptation par notre corps de cette évidence  centrale. Nous imitons dans nos gestes , avec nos bras et nos jambes, ce dynamisme centrifuge d’un côté et centripète de l’autre qui manifeste le jeu des Pôles, à la surface de la Terre. Notre buste, ou une de nos jambes, représente l’axe des Pôles. Cette notion d’axe est signalée page 22, de même que la notion de pivot est donnée page 28 du livre de Maître UESHIBA*. Dans la vie courante, nous sommes polarisés sur nos membres supérieurs ou sur nos membres inférieurs. Dans la pratique de l’Aïkido, nous refusons à notre corps cette dualité de fonctions et cette suprématie  d’une des deux moitiés du corps sur l’autre. Nous agissons en tant que « lieu » des coordonnées d’autrui. Pour cela, nous envisageons que notre corps a une partie haute et une basse, correspondant aux deux Pôles. Il faut donc, pour que tout notre corps vive en tant que « Noeud » des coordonnées d’autrui, que nous soyons déjà bien centrés sur nous-mêmes, que nous réalisions par conséquent un « centre de la Terre » en nous. Le centre de la Terre, lieu des pôles du globe a sa correspondance dans notre corps. Son lieu est entre le thorax et les hanches; sans lui, il n’y aurait aucun moyen d’éviter une dualité ataxique dans nos évolutions. Ce n’est pas du tout un simple centre géométrique de notre morphologie, car, s’il en implique un, c’est avant tout une fonction d’ordonnancement liée à la vie. C’est à partir de ce centre, même si nous ne le réalisions pas en tant que tel, que se polarisent nos dynamismes de la vie journalière, par alternance; ainsi l’on marche, puis arrêté on travaille avec ses mains. Dans l’Aïkido, cette prédominance de l’un de nos pôles ne doit pas être. Le schéma de la pratique de cet art est un axe vertical. Ses deux extrémités sont les origines de deux cercles, celui décrit par les bras et celui décrit par les jambes. Le « Centre unique », est placé sur cet axe d’une telle façon qu’il équilibre les possibilités du haut et du bas du corps dans les évolutions possibles de leurs extrémités. Placé entre le « lieu  » des épaules et le « lieu » des hanches, il est donc sur la ligne médiane du tronc, à distance égale, non des membres mais de leurs possibilités fonctionnelles. On pourrait donc le localiser sur un plan horizontal lombo-abdominal. Mais, le livre du Maître le précise nettement, l’Aïkido utilise la force expansive de ce centre, reliable au travail des bras. Le KI est toujours là, en ce centre et projetable. S’il faut céder, on utilise, grâce au Centrum, un mouvement de jambes: le Taïsabaki. Par contre, la poussée abdominale vers l’avant, vers le haut et vers le bas est utilisée. Dans les trois cas, ces poussées sont liées à un procédé respiratoire.. On sent très bien, en pratiquant, que le centre en question n’est pas lombaire mais abdominal’ et qu’il est placé en dessous de l’ombilic. C’est le seul lieu du corps permettant à la fois d’avoir une respiration abdominale et prépondérante et des possibilités, dans toutes les directions pour les membres supérieurs et inférieurs. Ce Centrum dont Maître Ueshiba et tous ses disciples parlent, est le lieu dans notre corps, où le dynamisme et le non-dynamisme des quatre membres ne sont pas en opposition. Par conséquent, le Centrum est le lieu fonctionnel de l’action et de la non-action de nos membres.

 C’est par la descente de notre intellect, de notre sensibilité affective, et de notre volonté, dans ce lieu où l’action et la non-action ont une origine non distincte, que nous réalisons objectivement les possibilité totales de notre corps quant au dynamisme de celui-ci. L’intégration de cette fonction centrale nécessite donc une descente effective de nos trois puissances, en ce lieu unique, à l’intérieur de cette Terre qu’est symboliquement la partie inférieure de notre corps. Quand cette concentration est réalisée, et alors seulement, les membres supérieurs et inférieurs sont libres d’agir dans toutes les directions, de même que, des pôles partent ou viennent  tous les méridiens. Il y a alors une libération des pôles secondaires que sont les membres supérieurs et inférieurs. C’est pourquoi les épaules et les hanches sont souples, quand le HARA est sous tension. Inversement, si l’on travaille avec ses épaules et avec une force inégale, on disperse son énergie; elle n’est plus centrée sur  l’axe médian du corps, mais inégalement répartie, et trop haut située; on ne fait plus alors de l’Aïkido.

 De même, si l’on travaille avec son intelligence, en cérébral, on polarise ses forces sur la vision du mouvement ou du geste, et pendant qu’on se penche en avant pour bien voir, on perd la position axiale qui seule permet d’intégrer nos puissances dans le HARA, en ce « Point Unique ». Aussi, quand nous entendons des débutants dire: « J’ai compris » à propos d’un dynamisme à intégrer, nous sommes certains que les faits de désirer comprendre, de chercher à comprendre, les éloignent de la réalisation centrale.

 Cet état où l’esprit, la sensibilité, et la volonté ont toutes leurs possibilité unies en un seul point du corps, le tout y étant « accroché » par une technique du souffle, cet état ne s’apprend pas intellectuellement. Il s’acquièrent par les postures  utilisées au début des leçons, par la marche à genoux, et par divers exercices dont le KOKYU NO HENKA (Breath Movement), décrit page 3 du livre du Maître. C’est cet exercice apparemment peu important qui nous livre pourtant la clef de l’expansion du pouvoir du Centrum. Son nom « Breath Movement » indique à lui seul le rôle du souffle dans  cette extension de nos puissances, et cache le procédé respiratoire que ni les Maîtres UESHIBA, ni TOHEI n’indiquent aux pratiquants dans leurs livres. Ce moyen donné trop tôt et quand on n’est pas mûr  pour le recevoir, ne servirait à rien de bien. Il semble que cette technique fasse partie de ces « arts secrets » dont il est question page 174, « qui n’ont pas à être révélés publiquement, ni enseignés aux coquins qui les utiliseraient pour de mauvais usages ».

 L’utilisation du « pouvoir du Centre » n’est pas autre chose que la conduite de cette puissance abdominale jusqu’aux extrémités des membres (p.31). Les mots « extending power » rappellent que l’Aïkido se pratique avec les muscles extenseurs des bras en priorité (bras-sabre). La centralisation de tout l’individu  est telle que nous ne pouvons pas regarder la partie de notre corps par laquelle nous sommes tenus (p.77); aussitôt saisi, on doit étendre vers ses membres supérieurs la puissance du Centrum. Pour cela, on les met aussi également que possible en extension spéciale, courbe, les « bras-sabres ». Par un effet de la bi-polarité libérée, dont nous avons parlé plus haut, les membres inférieurs se mettent en flexion si le Centrum agit. A partir de là seulement, il est possible de faire de l’Aïkido. D’ailleurs à ce moment, n’importe quel mouvement d’Aïkido trouve sa place. Bien mieux, n’importe quel mouvement qui entretient la centralisation est de l’Aïkido.

 C’est pourquoi le système des « séries » est un leurre. Dès qu’on étend ses bras et qu’on y déverse la puissance de son « Centrum », tout réussit et toute les techniques de détail sont dépassées. Inversement le système des séries fixe l’attention  sur le lieu du corps qui est saisi, et vous n’êtes plus uni à votre « Centrum », si vous l’avez jamais été à l’état statique. Le résultat est celui-ci: vous cherchez à vous débarrasser de la prise par des procédé contraires au principe d’extension des membres supérieurs. Vous vous agrippez à la main qui vous tient au lieu de déplacer votre corps, dont le « Centrum » seul peut mettre sur orbite l’attaquant.

 La deuxième conséquence découle des deux faits précédents, centralisation et dynamisation si bien décrits page 170 du livre « Aikido ». C’est ceci: le dynamisme en question n’est pas spécifique d’un individu, il n’a pas de caractère individuel.C’est pourquoi il n’a ni forme (personnelle), ni style (personnel) en Aikido. Si quelqu’un prétend que deux enseignants ont chacun leur style en Aikido, c’est au minimum que l’un deux ne pratique pas l’Aïkido. « Le mouvement d’Aïkido est celui de la Nature, dont le Secret est profond et infini ». En relevant cette phrase, page 169, nous trouvons la confirmation de ce que nous avions déjà indiqué plus haut à propos des secrets dans l’Aïkido.

 Mais, nous élevant de notre propos « central » du début, qui est le premier stade, nous noterons que le Maître UESHIBA n’hésite pas à signaler que « le vrai BUDO consiste à être Un avec l’univers, c’est-à-dire à être uni avec le Centre de celui-ci ». Du centre intérieur, déjà si bien gardé, il faut donc passer au Centre de l’Univers pour suivre le Maître UESHIBA Morihei. Et, ce Centre Spirituel, dit le Maître, est « l’amour, déité gardienne de toute chose » (P.179). C’est pourquoi, sans amour pour autrui, ni le Centrum du HARA, ni le centre de l’Univers ne s’ouvrent. Et, avec la simplicité des hommes vraiment grands, Maître UESHIBA n’a pas cette fausse pudeur qui empêche les individus ordinaires de parler du principal. Il nous déclare que ce centre de l’Univers est Dieu, que Celui-ci doit être le compagnon de nos actes, et que nous devons modestement l’imiter sur la Terre selon son processus d’action sur le monde, c’est-à-dire en maniant le corps de notre prochain avec amour, surtout quand nous avons à nous défendre contre lui.

 Les BUDO destructifs ne sont pas de l’Aïkido. Celui-ci est constructif d’un monde heureux, ordonné et pacifié, en nous et hors de nous.

 *Ueshiba Morihei, Aikido, Edtions Hozansha.

 

 

 
 

1 commentaire

  1. julien laneyrie

    Trois fois Hourra, Trois fois Hara (qui ne rit pas) !

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