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His name is Raymond…

Qui ne connaît pas Raymond n’a pas eu à résoudre la gestion d’une force physique hors norme, non pas liée à des mensurations extraordinaires mais plutôt à une densité incroyable digne d’un lutteur turc et surtout une puissance de saisie qui fait penser à une machine à broyer.

Le plus étonnant est que sa puissance n’a d’égale que sa gentillesse. Ce n’est pas du tout lié à un mauvais mental. A aucun moment, une telle saisie n’est faite pour empêcher le partenaire ou l’instructeur de travailler. C’est simplement une nature spontanée qui n’est pas formatée selon les conventions habituelles des Dojos…

Cherchez Raymond. C'est la statue immobile!

Cherchez Raymond. C’est la statue immobile!

Sans être obsédé par l’objectif de l’efficacité, tout pratiquant sincère doit un jour se poser la question suivante: comment dépasser les inégalités de poids, de taille et de force physique (nous ne parlerons pas ici des connaissances techniques d’Uke).

Comment faire Ikkyo sur shomen-uchi quand il y a une différence de taille de 40-50 cm et que l’attaque vient de haut en bas et qu’il est impossible de repousser? C’est là l’intérêt du travail en hammi-hantashi-waza (Uke debout, Nage au sol qui ne se lève pas pour effacer la différence de taille).

Comment faire Nikkyo sur un poignet énorme?

Comment faire Koshi-nage avec un poids lourd qui fait deux fois votre poids et qu’il n’est pas question de le charger sur les hanches ou les lombaires?

Dans les Dojos notamment à Iwama, il est écrit qu’il est interdit de travailler en force (Go no geiko) mais toujours  en souplesse (Ju no geiko). Cette règle est pleine de bon sens et de sagesse.

Vouloir montrer sa force brutale en appliquant Ude-kime-osae avec son poids sur un coude féminin est stupide, scandaleux et condamnable, alors qu’un simple bras de levier après avoir capturé le Ki permet un mouvement en douceur, sans douleur  et efficace.

Est-il raisonnable de pratiquer pendant deux ans plusieurs heures par jour Irimi-nage omote en sabrant sans capture du Ki, obligeant uke à faire un quart de soleil pour éviter le traumatisme des cervicales et le transférer  sur tout le rachis notamment la 5e lombaire?

Il est évident qu’on ne peut pas apprendre les bases et les subtilités sans une certaine complicité et une convention dynamique. Tout en étant partisan à cent pour cent de cette règle, nous sommes curieux de résoudre des difficultés et d’apporter des solutions Aïki sachant qu’on doit dépasser la dualité d’un rapport de forces qu’elles soient physiques et même mentales.

Dans nos «master class», nous proposons aux cadres et instructeurs de tester leurs connaissances avec un Uke «irrégulier» c’est-à-dire que l’attaque est sincère, sans pensée d’attaquer pour être projeté ou immobilisé et que si le timing n’est pas parfait, les temps morts sont … «mortels» pour Nage.

Plusieurs réponses s’offrent à nous.

La première, la plus répandue et peut-être la plus simple est l’Atemi. Celui-ci  peut se traduire selon 3 modes:

-L’Atemi destructeur où la frappe sur un point ou zone vitale met l’attaquant incapable de continuer son action initiale. L’action physique domine l’action mentale. On se rapproche quasiment d’un art de boxe et le mouvement d’immobilisation ou de projection devient presque secondaire. L’Atemi de Nishio Shoji sur un point de la mâchoire ou au creux axillaire laisse quelque peu perplexe quant au mouvement appliqué sur un Uke devenu «poupée de chiffon»!

-L’Atemi douloureux pour créer un choc autant physique que mental afin d’inhiber passagèrement l’attaquant selon un niveau moindre que l’Atemi destructeur.

-L’Atemi de diversion ou «coupure du Ki». L’action mentale est dominante. Cà peut-être par exemple un geste de diversion comme aveugler Uke en l’obligeant par réflexe à fermer les yeux un instant.

Dans tous les cas, le but est d’annihiler la puissance de l‘agression et d’interrompre l’information entre le mental et le physique.

Sachant que l’agressivité, le danger et cet état émotionnel modifient le seuil de la douleur, et sachant que la connaissance de l’art de l’Atemi n’est pas la «tasse de thé» de la plupart des pratiquants ne serait ce qu’à cause du Ma-aï (distance), nous restons perplexe sur le résultat recherché à savoir s’affranchir des inégalités physiques.

Faut-il s’entrainer à un art de boxe pour résoudre à court terme les conflits qui malheureusement existent?

Pourquoi pas, même si cette solution n’a pas notre préférence.

Deux histoires illustrent notre  orientation:

La première concerne Oyama Masutatsu fondateur du Karaté Kyokushinkai qui avec ses 100 kgs était un spécialiste de la casse et pratiquait en plus la méditation notamment sous cascade d’eau glacée. Ayant remarqué un chinois qui faisait les mêmes prouesses mais affichant 50 kgs, il décida de doubler son entrainement!
Oyama Masutatsu s’était rendu célèbre par la casse des cornes de taureau.

Oyama Masutatsu, le roi de l'arène?

Oyama Masutatsu, le roi de l’arène?

Kobayashi Hirokazu nous affirmait, ironique, qu’en fait c’était des vachettes malades! Sans commentaires sur une controverse nippo-coréenne, nous n’y étions pas.

La seconde est personnelle et se passe au début des années 70 dans un Dojo auquel nous apportions un soutien technique. Un des pratiquants au demeurant sympathique critiquant les attaques conventionnelles nous mis au défi face à un style de boxe anglaise. N’étant pas compétent en boxe et sans plus en anglais, il eut été stupide de rentrer dans ce jeu. Aussi, adoptant un mode «survie-danger», c’est-à-dire absence de garde, ouverture du Hara et surtout le regard «acier-transparent», nous assistâmes à une danse de jeu de jambes en carrousel digne de Cassius Clay qui s’arrêta faute d’ouverture au bout de deux minutes!

La deuxième solution après l’Atemi est de l’ordre du subtil et fait appel au contrôle du mental.

Comment entrer dans le système énergétique d’Uke, en prendre le contrôle et diriger son Ki donc son corps et s’affranchir de la puissance physique?

La main Irimi, le Kiaï silencieux, la psychologie, d’une façon générale les lois de l’énergétique et la force de l’Esprit apportent des réponses.

En théorie, on ne peut arrêter un tank et pourtant un homme y est arrivé face à une colonne de chars sur la place Tien-An-Men!

Ce n’est pas le tank qu’il faut arrêter mais «modifier» le centre de commandement en l’occurrence le conducteur à l’intérieur.

Ce n’est pas l’ordinateur qu’il faut contrôler mais le logiciel.

Ce n’est pas le «tank Raymond» qu’il faut déplacer mais modifier son mental et annihiler le programme de broyage.

Dépasser la technique musculaire afin de permettre au corps par la relaxation, la souplesse et des mouvements fluides d’être au service du mental.

Tout cela suppose que l’on ne soit pas déjà coincé par le tank. Certes, récemment un nageur australien a pu dégager sa tête…de la gueule d’un requin en frappant son nez, point faible de la bête! C’est bon à savoir si nous croisons notre Raymond, mais cette expérience reste exceptionnelle! (Nous parlons du requin!)

Pour la première démonstration télévisée d’Arts martiaux au Japon, O Sensei chargea Kobayashi Hirokazu de représenter l’Aïkido. Celui-ci mit au point les protocoles notamment avec une jeune femme qu’il devait saisir à bras le corps par derrière pour être projeté. Mais avec l’émotion et le stress de l’évènement (une première), il la bloqua si bien que la malheureuse pédala les pieds dans le vide et ne put rien faire.

La puissance (Kokyu-ryoku) de Kobayashi Hirokazu était impressionnante. Un soir que nous le raccompagnions à Orly pour Osaka, il chargea le coffre et une valise récalcitrante reçut une poussée digne d’un sumotori. Heureusement le frein résista mais la voiture protesta!

Lors de cette même exhibition, le Karaté connut un incident tragico-comique sur une attaque men au sabre. Un blocage en force entraina le lâcher du sabre qui vola en l’air et redescendit se planter…dans le pied du malheureux démonstrateur!

Si pour la formation initiale, la force musculaire comme la vitesse est un frein, il arrive un moment où il est néanmoins intéressant de subir des épreuves qui permettent de voir si l’on est passé du stade du «mécanicien» (physique dominant) au stade du «magicien» (mental dominant).

Le magicien manipule et joue avec le Ki. Mais ce n’est qu’un stade intermédiaire. L’étape supérieure est encore à parcourir avant d’atteindre le but ultime.

Tout comme Raymond doit apprendre à abandonner sa force musculaire et devenir papillon, nous devons abandonner notre enveloppe de chrysalide pour devenir papillon, gazeux, sans forme, indétectable aux sens.

Le mental lui-même par l’intuition et l’intention devient serviteur de l’Esprit. Ayant atteint l’état de vide sans forme ni pensées, il y a non-résistance, non-violence et non-agir.

Ne pas opposer la force à la force.

Ne pas opposer la violence à la violence.

Entrer dans le système énergétique de l’autre afin d’en prendre le contrôle.

Laisser couler et guider le Ki (Ki no nagare) et ne faire qu’un.

C’est l’état Aïki.

                                                                                                          JMT

 
 

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