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L’esprit de l’Aïki-Do (2e partie)

par Pierrre Warcollier

Voici la suite de l’article paru dans la revue « Les cahiers du Budo », publication du Budo-club de La Varenne-Saint-Maur, n° 2, novembre 1965.
Nous avons respecté strictement l’écriture et l’orthographe du texte original.

Ce 2e article est plus « universitaire », mais présente un intérêt pour ceux qui veulent aller plus loin dans les « secrets » d’un art martial culturel créé par un homme cultivé.

2e partie: LA NOTION DE DO

     Des idées naturalistes très anciennes, suscitées par la contemplation de la nature, président aux conceptions philosophiques et aux applications artistiques traditionnelles des Chinois et des Japonais.

     Il ne s’agit pas de philosophie morale ici, mais de métaphysique cosmique. Les penseurs Orientaux ont été inspirés par la double constatation suivante: si l’on envisage les phénomènes de la nature pendant une durée assez longue, on constate le phénomène d’alternance, tandis que si l’on envisage ces mêmes phénomènes dans une unité brève de temps, on découvre une dualité d’aspects dans chacun d’eux. Dans la durée, nous voyons les grands cycles: marées, saisons, etc…Dans l’instant, nous voyons: le haut, le bas, l’interne, l’externe, l’antérieur, le postérieur, en un mot les oppositions.

     Les penseurs chinois s’appliquant à cette vision du monde parvinrent à des considérations métaphysiques comportant une notion très spéciale d’espace-temps. L’alternance n’est vérité que dans le temps, et la dualité des oppositions ne l’est que dans l’instant. L’aspect dynamique est cyclique, l’aspect statique est l’opposition. L’aspect dynamique inclut l’aspect d’opposition des choses et leur aspect dualiste figé. L’aspect cyclique donne un sens aux choses qui semblaient en opposition.

     Ils ont constaté que les dualités spatiales: lumière, ombre, etc… sont des nécessités en accord avec des rythmes temporels. Par conséquent, cette vision métaphysique semble dualiste. Elle semble partager les choses en deux camps, celles du jour et celles de la nuit, du dehors et du dedans, etc quand elle considère les choses dans leur aspect statique. Mais elle n’est pas dualiste parce que, dans cet aspect statique, elle reconnaît que les aspects apparemment opposés sont des faces et ne sont que des faces. L’unité de l’individu apparent n’existe que par ses faces d’aspects opposés et en équilibre.

     Il en est de même de l’aspect cyclique. Il n’existe que dans le temps. Le temps fournit aux phénomènes un aspect d’alternance, comme la connaissance sensorielle instantanée fournit l’aspect d’opposition. L’unité qui présente ces deux aspects est dans chaque être tout entier et dans les êtres globalement.

     Cette métaphysique de la nature, que les Japonais ont reçue des Chinois sous forme explicite, est non dualiste au fond. Si nous considérons un être corporel, celui-ci a son unité dans ces deux expressions de lui-même que sont  ses aspects apparemment opposés, et il l’a dans son état statique et dans son état dynamique se compensant l’un l’autre. C’est pourquoi il y a une perfection naturelle dans la simple attitude immobile, la simple posture, à condition que le même être puisse égaliser parfaitement ses forces d’alternance s’il devient dynamique.

     La recherche de l’unité physique de tout notre être  peut donc se faire à l’état statique par la posture. On comprend alors beaucoup mieux les attitudes statiques orientales. Si nous sommes au repos, soyons en posture de repos efficace, si nous sommes en action, soyons en en attitude  d’activité parfaite, c’est-à-dire en possession de toutes nos possibilités d’alternance. En repos, deux hommes face à face sont « deux »; en mouvement d’attaque et de défense, deux hommes sont « ensemble » à des niveaux différents d’alternance de leur positivité et de leur négativité. En posture statique, il y a une perfection physique à atteindre; elle est, pourrait-on dire, la « moitié » de la perfection physique totale; celle-ci est complète si le même être atteint, en mouvement, la perfection « alternante ».

     Ceci explique parfaitement les attitudes tant immobiles que mobiles dans les arts orientaux. La conséquence du principe d’alternance est telle que, si deux individus travaillent ensemble l’Aïki-Do, à fortiori s’ils combattent, chacun recherchant sa perfection dans la compensation des actes de l’autre, l’un doit être d’autant plus actif que l’autre est plus passif. Celui qui « gagne » est celui qui n’est jamais sorti de cet état mental et physique qui permet de continuer à agir par l’alternance et la compensation. Un homme qui reste au centre de ses possibilités de puissance et de passivité compense et inverse après évaluation les excès d’activité de son partenaire puisque celui qui attaque n’est pas en équilibre. C’est pourquoi il est admis en Aïki-Do que ce n’est pas le partenaire qui vous fait mal, éventuellement, mais vous-même qui vous provoquez cette souffrance. L’état mental qui fait un homme équilibré a pour correspondance un lieu organique. Quand le corps est en équilibre, ce Centrum, dont parle Maître UESHIBA, est en plénitude. Notre corps est en déséquilibre quand ce Centrum s’est vidé au dépens d’une autre partie de notre corps où nous localisons notre puissance.

     Les Chinois ont donné à ces aspects en opposition apparente les noms de Yin  et Yang, traduits improprement par Négatif et Positif, en fait Passif et Actif ou Intériorisant et Extériorisant, ou en Action tournante et en Action directe. Les Japonais traduisent Yin et Yang par Yn et Yo quand il s’agit d’une terminologie philosophique. Ils ont d’autres termes quand il s’agit de technique. La voie d’équilibre dont il est question plus haut sous ses deux aspects statique et dynamique, c’est le DO, principe d’harmonie et de maîtrise, permettant la synthèse par alternance ou la concomitance des extrêmes.

     A suivre

 
 

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