Tsun Tseu l’avait bien expliqué: dans l’art de la guerre, tous les moyens sont bons pour tromper l’ennemi que ce soit la ruse, la tromperie ou la manipulation. Mystifier l’autre par une attitude physique, psychologique, en s’aidant de l’environnement ainsi que pratiquait Musashi Miyamoto en arrivant très en retard dans ses duels, en se mettant dos au soleil…est de bonne guerre, c’est le cas de le dire .
Les Budo modernes apparus à la fin du XIXe siècle et issus des Bujutsus guerriers n’échappent pas à la règle notamment en supprimant des techniques trop dangereuses car trop efficaces. Les secrets d’Ecole permettent de garder l’avantage et éventuellement de ne pas être poussé dans un escalier par un élève trop zélé!
Nous renvoyons aux écrits passionnants et très profonds d’Henry Plée qui touchent principalement le Karaté.
Citons pour faire court l’étymologie du mot qui veut dire « main de Cathay » ou « main de Chine ». Avec le même idéogramme, il a été substitué « la main vide » afin d’effacer l’origine chinoise pour des raisons nationalistes. Cette interprétation aurait pu être pertinente à condition de comprendre le sens du mot vide, quand on sait que les Katas ou Tao chinois se faisaient main ouverte et que la main fut fermée en poing ne serait ce que pour protéger … sportivement l’adversaire…
Avant d’en venir proprement à l’Aïkido, rappelons quelques mystifications dans le monde des arts martiaux.
Le samouraï (alors que le terme adéquat est « Bushi« ) est d’emploi tardif et signifie « au service d’un Seigneur ». On aurait même envie de dire « saigneur » du Seigneur!
Nishio Shoji n’y allait pas par quatre chemins et affirmait publiquement:
« Les samouraïs étaient des assassins »,
faisant allusion au fait qu’ils avaient droit de vie et de mort sur toute personne qu’ils croisaient et qu’ils ne se gênaient pas pour sabrer le passant ou un quidam sans arme!
En 1868 prend fin l’ère féodale et l’interdiction du port des deux sabres pour les samouraïs (1876) qui se retrouvent au chômage. Si certains se reconvertissent en ouvrant des Ecoles (Ryu) ou se lancent dans des entreprises commerciales, beaucoup se retrouvent désoeuvrés.
C’est là qu’une mystification extraordinaire est créée pour rattacher cette caste à une éthique et à un code de l’honneur: le « Bushido » ou voie du guerrier! S’il est vrai que le samouraï avait des devoirs d’obéissance et d’honneur (par exemple le rituel du suicide ou seppuku), on ne peut parler de voie spirituelle au sens de Tao ou Do .
Le Bushido a été inventé en… 1902 par l’écrivain japonais Nitobe Inazo pour assagir et mieux contrôler cette population sous une bannière éthique et pseudo taoïste. Il est donc curieux d’entendre parler de « Bushido » dans des films se déroulant il y a quelques siècles et encore plus incroyable d’entendre des maîtres de « Koryu » (Ecoles traditionnelles) propager la même idée actuellement!
Autre confusion qui vient d’occident, c’est d’assimiler le samouraï au chevalier du Moyen-Age. La première raison est de confondre un cavalier avec un chevalier. Nous renvoyons aux travaux de Léon Gautier. Un chevalier était lié à un certain nombre de règles notamment la foi chrétienne en la Vierge Marie ce qui bien sûr n’était pas le cas du samouraï. Celui-ci n’avait pas de croyance équivalente. Remarquons qu’il existait une chevalerie persane qui était en contact avec la chevalerie occidentale. Certes des samouraï se sont tournés vers une vie spirituelle mais cela reste marginal.
Mystification et Aïkido
L’Aïkido n’échappe pas aux mystifications si ce n’est aux manipulations.
Un Budo sprituel
L’oeuvre de Maître Ueshiba est-elle une mystification?
Cette question provocatrice a pour but de rappeler que toute pensée est relative et dépendante du point de vue de l’observateur.
Pour Takeda Sokaku et le Daïto-Ryu, Maître Ueshiba s’est éloigné pour ne pas dire rompu avec l’Ecole guerrière; c’est une involution ou une décadence.
Pour les spiritualistes, en particulier Deguchi Onisaburo qui a été son guide spirituel, on peut supposer que sans son influence, O Senseï serait resté un maître de guerre et n’aurait pas créée l’Aïkido.
C’est donc une évolution de l’exotérisme et le mésotérisme vers l’ésotérisme.
Il est fréquent de lire la relation entre les arts martiaux et le Bouddhisme Zen, notamment Robert Linssen qui qualifie O Sensei de « Maître Zen » ce qui n’était pas le cas. Nous renvoyons à l’étude très érudite de Pierre Warcollier qui met bien en lumière les influences shintoïste, taoïste et … chrétienne du Sage qui parlait de Dieu dans ses discours. Pour un Shintoïste, il n’y a pas de contradiction alors qu’il n’y a pas de Créateur.
Des contre-sens à la dégénérescence des mots et de la langue
Le passage d’une langue à une autre amène souvent des erreurs ou des dommages plus ou moins regrettables.
En occident et notamment en France, on a retenu les mots Judoka, Karatéka, Aïkidoka, etc. Le suffixe ka veut dire expert ce qui bien sûr est faux pour la majorité des pratiquants. Jean Zin avait signalé en 1958 que l’expression normale était « shogyusha » que l’on traduit par « homme modeste qui pratique… »
Plus dommageable car plus subtil, faute de culture ésotérique en particulier sur l’art des sons et des phonèmes, on oublie la prononciation correcte de Ueshiba, Aïkido, Ikyo… où les voyelles doivent se détacher. « Shiho-nage » est devenu « chiot-nage ». On doit prononcer « ou-é-shi-ba », « a-i-ki-do », « i-ky-o »…Par contre, consternant était le débat sur la prononciation « irimi » ou « ilimi »!
L’évolution de l’homme va de la matière vers l’Esprit, du carré vers le point en passant par le triangle et le cercle, du 4 vers le 3 puis le 2 et le 1. La gestuelle de l’Aïki devrait obéir à ce Principe. Mais est-ce toujours le cas?
Ukemi, l’art de la chute
Prenons l’exemple de la chute.
Etymologiquement, c’est « le corps qui subit ou reçoit » dans le sens d’une transmission d’une leçon.
Sous prétexte que nous étudions sur des tatamis confortables, on en profite pour frapper le plus fort possible, en utilisant la loi d’action-réaction en physique newtonienne (chute « carrée »).
Tout le monde se fait plaisir.
Uke impressionne le spectateur qui pense que plus la chute est bruyante, plus c’est efficace.
Nage peut exprimer son transfert d’agressivité sur le rachis de son partenaire et satisfaire son égo.
Que devient une chute plaquée avec frappe sur du bitume ou du béton?
Pour nous, la chute idéale est silencieuse, légère, « gazeuse ».
C’était le cas du Judoka Saïgo Shiro surnommé « le chat » au début du XXe siècle qui retombait toujours sur ses pieds et inspira la légende de Sugata Sanshiro.
C’était le cas chez Asai Katsuaki projeté dans tous les sens par Noro Masamichi, et atterrissant sans bruit même à plat.
C’est ce que l’on constate chez les acrobates de poche du cirque de Pékin.
Au premier degré, la chute (comme l’immobilisation) est un signe de défaite.
Au deuxième degré, la chute est un déplacement.
Au troisième degré, la chute est un moyen en échappant à la gravité et en quittant le sol de s’élever vers une dimension subtile où l’espace-temps s’interrompt et ainsi de percevoir même fugitivement un état de conscience supra-humain, au delà du mental. Il faut donc accepter la chute et non la briser pour mieux se relever. Nous avons là toute une symbolique Terre-Ciel.
Le célèbre danseur Vaslav Nijinski avait la réputation de s’élever dans les airs et de rester plus longtemps que les autres.
Quand son entourage lui faisait remarquer:
« Quel dommage que tu ne puisses te voir! »
il rétorquait
« Mais je me vois! »
Il n’y pas lieu de rentrer dans une étude de ce que l’on appelle « le vol en esprit » dans le rêve, dans le chamanisme ou chez un certain Holmes. On touche à la sphère psychique, parfois psychiatrique et on est loin du spirituel.
Les attaques
S’il existe un domaine qui prête aux critiques en Aïkido, c’est bien les attaques tout en sachant que chaque discipline devrait balayer devant sa porte. C’est le problème à nouveau des Bujutsu et des Budo.
Plus que leur aspect conventionnel et stylisé, c’est la question des attaques lancées et de la distance (Ma-Aï) qui posent problème, particulièrement au couteau et comme par hasard dans les démonstrations!
Mieux vaut une bonne distance et une puissance d’attaque proportionnelle à la qualité du pratiquant plutôt qu’une attaque puissante à mauvaise distance qui ne ferait qu’effleurer Nage.
Nous attirons l’attention sur l’attaque latérale (Yokomen-uchi) qui n’est pas une attaque horizontale (!) et qui ne devrait pas se faire avec changement de garde et une forte amplitude comme cela est présenté … dans les bandes dessinées!
Le Kata
Maître Ueshiba n’a jamais enseigné de Kata tel que c’est conçu dans d’autres Budo. A ce propos, il est important de souligner qu’O Sensei n’a jamais pratiqué d’autres Do! Après tout, il aurait pu être attiré par le Iaïdo ou pourquoi pas le Kyudo! Ne s’est-il pas exercé à la calligraphie sur le tard?
Mais revenons au Kata qui est une invention… française liée à l’influence du Judo comme il y a eu une tentative de nomenclature avec des 1ère forme, etc.
En soi, le kata n’est pas une mauvaise chose et même un instrument pédagogique intéressant à condition de ne pas se bloquer sur une exécution primaire et non évolutive comme on a pu le constater dans des examens. Rappelons que Maître Ueshiba en véritable artiste martial ne faisait pas deux fois la même chose et que chaque technique était une création unique.
Dans la même mentalité, il avait été demandé à Kobayashi Hirokazu d’enseigner Ikkyo le premier jour, Nikkyo le second jour et ainsi de suite pendant la semaine. Lui avec sa logique et peut-être son caractère n’en faisait qu’à sa tête!
Il y aurait beaucoup à dire sur l’évolution de la technique Ikkyo en sortie gokyo depuis les années 70, évolution que critiquait à l’époque Tohei Koichi. Etant dans une étude théorique, nous remarquerons simplement qu’une difficulté physique doit être résolue avec le Ki et non pas avec un changement de mécanique.
Le Ki
Le Ki fait partie intégrante des arts martiaux et pas seulement de l’Aïkido. Rappelons que cette notion n’est pas réservée aux arts martiaux, pas plus qu’elle ne se limite à l’orient. S’il est vrai que les traditions indienne et chinoise ont été très loin dans son exploitation, il a toujours existé des personnalités hors du commun pour appliquer cette dimension inhérente à la nature humaine.
Nous pouvons supposer que Maître Ueshiba faisait partie de ces êtres là. Pour autant, il n’avait pas de pédagogie axée là-dessus.
Pourquoi?
Nous formulons l’hypothèse qu’il ne s’attardait pas à enseigner des « techniques de Ki » (niveau mésotérique) même s’il en démontrait certaines quelque peu irrationnelles. Probablement voulait-il éviter toute forme de phénoménologie au profit d’un enseignement spirituel qui était la raison de sa vie. Certes il existe encore des vidéos qui montrent des exercices curieux mais cela reste marginal.
Son objectif étant spirituel ce qui n’était pas forcément le cas de ses disciples, il y aurait eu risque de déviation et d’erreur psychique comme on peut le constater avec certaines démonstrations de pouvoir, de domination ou de tentation de jouer au guérisseur.
La société moderne de loisir et le développement quantitatif d’une discipline en mode sportif avec ou sans compétition amène une transformation des objectifs. La quête du bonheur est une affaire personnelle et subjective comme l’appréciation d’une décadence.
Sans vouloir jeter l’opprobre sur des catégories ou des castes, les travaux scientifiques ont démontré que la taille du cerveau chez les fourmis était lié à leur fonction; celui d’une fourmi ouvrière qui a des responsabilités multi-tâches de survie de la colonie est plus important que celui de la fourmi soldat, mono-tâche à la défense du groupe. L’obéissance à un ordre demande moins de neurones!
Par contre, les Aïki-Taiso « Funakogi-undo » (mouvement du « rameur »), « Tama-no-hireburi » (vibration de l’âme) ont toujours fait partie des exercices préparatoires.
Il semblerait qu’avec la disparition du fondateur puis de ses proches disciples et du développement mondial, tous ces exercices et la mise en avant de l’importance du Ki tendent à disparaître. Non pas que les experts et enseignants manquent de Ki, mais l’évolution matérialiste du monde moderne fait que la pédagogie est réduite à une mécanique corporelle (la mode actuelle est de parler de la modification de l’utilisation du corps), au point que le mot Ki deviendrait un gros mot même au Japon ce qui est paradoxal quand on sait combien il est employé dans toutes sortes d’expression.
Un cas à part est celui de Tohei Koichi qui s’était spécialisé si l’on peut dire dans le Ki.
Autre forme de génie mais sans démarche spirituelle, magicien dans son domaine, il voulut couper ses liens avec son Maître puis avec l’Aïkikai dont il était l’instructeur en chef au point d’honorer la calligraphie « Ki » en lieu et place du portrait du fondateur. Nous n’évoquerons pas les raisons des conflits qui appartiennent à la petite histoire de l’Aïkido.
Imaginons que demain, une personnalité ait l’idée de promouvoir de l’Aïkido avec « Aï » (nous parlons d’harmonie et d’amour et non pas du cri de douleur!).
L’Aïkido, c’est trois calligraphies pour une unité comme il y a une unité dans le concept « Aïki ».
L’Aïkido est un Budo spirituel créée par un être réalisé qui a voulu transformer un art de destruction en art de construction de l’homme dans sa triple nature physique, psychique et spirituelle. Cette mutation ne s’est pas faite sans des concessions qui selon les points de vue seront jugées comme positives ou négatives. La disparition du fondateur amène toujours une évolution, de même après la disparition des proches disciples. Entre les mystifications, les manipulations et tout simplement la perte de connaissances profondes, nous sommes en droit de nous interroger sur l’avenir de l’Aïkido dans les décennies et les prochains siècles. Nous pouvons cependant rester confiant quand nous constatons la qualité de jeunes pratiquants de 15 ou 20 ans. C’est toute la responsabilité des enseignants de transmettre les fondements de la discipline tout en sachant qu’il y aura inéluctablement une évolution incessante en fonction de l’évolution de l’homme et de la société.
Pourvu que la recherche de la qualité l’emporte sur le développement de la quantité…
JMT
Excellent article qui a l’avantage de remettre certaines interprétations à leur juste place.
Merci pour ce retour et votre sensibilité.
Bien amicalement,
JMT
Bonjour et bravo pour cet article auquel je ne peux que souscrire.
Pour les lecteurs, n’hésitez pas à poursuivre cette lecture ici : http://fudoshinkan.eu/coup-gueule-aikido-moderne-entre-deni-et-schizophrenie/
Merci pour vos compliments et votre partage. Je vous retourne volontiers les miens pour votre article. Il y aurait beaucoup à dire sur le plan scientifique en particulier sur les expériences au Kirlian que je pratique depuis 1980. Un jour, peut-être, dans le cadre d’une publication.
JMT