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Quels progrès, quels objectifs?

Nous vivons dans un monde de l’avoir et de consommation. L’Aïkido n’échappe pas à cette règle et est pratiqué majoritairement comme un loisir et comme tout loisir, il passe après les obligations de la vie moderne: famille, profession, amis, vie sociale et tous les engagements…

Un pratiquant de base consacrera en moyenne 3 heures par semaine plus quelques heures par mois s’il fait un stage, plus quelques heures l’été éventuellement. Sachant que les périodes de vacances scolaires dans l’année (surtout l’été) voient la plupart du temps les Dojos fermés, il reste 9 mois de pratique. Un rapide calcul montre qu’en 3 ans, le pratiquant totalisera 240 heures, temps au bout duquel, s’il est moyennement doué (!?), il sera 1er Dan!

Cette façon de comptabiliser est très quantitative à la manière des heures de vol pour un pilote et ne tient pas compte de la qualité de la pratique (concentration, rythme, âge, don…), mais si l’on y regarde bien, 240 heures correspondent  à notre époque à 7 semaines de travail!

L'Ecole Tenchi en séminaire

L’Ecole Tenchi en séminaire

Première question: quel niveau d’études ou de qualification atteint-on en 7 semaines?

Un Uchi-deshi comme Abe Tadashi obtint le 6e Dan en 10 ans (1942-1952), Tohei Koichi le 8e Dan en 14 ans (1939-1952) avec certes un passé martial et beaucoup de dons. C’est toute la différence entre le statut amateur-loisir et le statut professionnel. Si le second permet une expertise rapide, est-ce pour autant la condition d’un développement sur les plans psychique et spirituel?
Nous en doutons au vu de certains exemples.

Si la quantité de travail est une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante et il existe des non professionnels qui sont de meilleure qualité que des Uchi-deshi ou des professionnels. Avoir été élève voire disciple de Maître Ueshiba est une chance extraordinaire, mais ce n’est pas du tout la garantie d’avoir compris son enseignement technique, moral , mental et spirituel. L’enseignement ésotérique du « Vieil Homme Sage » était incompréhensible pour de jeunes hommes sans culture spécifique.

Progresser demande un minimum de pratique et de régularité. Un entrainement par semaine même si c’est mieux que rien, l’absentéisme répété sont des signes négatifs quant aux progrès escomptés.

Les progrès sont donc liés à de multiples facteurs:

-innés avec les dons et aptitudes (génétique, hérédité)
-environnement familial, social, culturel (voir le désintérêt des jeunes pour les arts martiaux en particulier au Japon, plus attirés par le base-ball et maintenant les jeux électroniques, l’internet)…
-acquis: quantité d’entrainement (assiduité, régularité), qualité du travail (concentration), amour de l’Aïkido  (travail bien fait), des partenaires, de l’enseignant, du Dojo, éthique, respect…
-la connaissance analogique comprend toutes les relations que l’on peut trouver avec un système ouvert comme l’Aïkido qui est un art naturaliste basé sur des lois naturelles décrites dans le Taoïsme (Tao-Yin-Yang). En fait, toute discipline, toute science, tous les arts, tous les métiers (cf annexe: l’histoire du boucher taoïste de Tchouang-Tseu) ont des passerelles avec l’Aïkido: la musique, la danse, le mime,la calligraphie, la politique, l’économie (cf: le jeu taoïste gagnant-gagnant), la santé, la médecine, l’énergétique, etc, etc…

Lao-Tseu chevauchant le buffle

Lao-Tseu chevauchant le buffle

Derrière cette réflexion, la question est:
A quoi sert l’Aïkido?
Quels sont les objectifs?
Pourquoi consacrer autant de temps, d’énergie à cet art martial?

Pour se défendre, pour être bien dans sa peau, pour passer le temps.

Soyons lucides.

100% des pratiquants commencent un art martial pour apprendre à se défendre (à commencer par O Sensei  qui « voulait chasser les ennemis de son père ») ou pour toute autres raisons pragmatiques notamment de bien-être. Tout motif quel qu’il soit est respectable. Si cela contribue au bonheur, nous ne pouvons que respecter.
Nous avons chacun un destin et nos objectifs sont différents en particulier pour l’Aïkido.

Mais au fil des années, nous pouvons espérer que les motivations et les objectifs évolueront. L’Aïkido est un système ouvert qui offre tout ce que le pratiquant demande et attend: technique martiale, gestuelle esthétique, art de santé, moralité,  vertus, intellect, spiritualité…Chacun y trouvera son bonheur.
Comme le dit une célèbre maxime:

« Demandez et vous recevrez« ,

encore faut-il apporter quelque chose dans la corbeille de mariage. On ne peut recevoir que si l’on donne.

Imaginez-vous à la veille de mourir et à l’heure de dresser le bilan. Une vie consacrée à cet art, vous avez atteint un haut niveau reconnu de maîtrise .

Est-ce suffisant?
Qui se souviendra de vous dans 100 ans?

A notre sens, la réponse est plus dans l’être que dans l’avoir. A l’heure des gadgets de défense, il peut paraître vain de perdre du temps à devenir plus performant techniquement. Par contre, si des principes privilégiés appliqués à une gestuelle  tout aussi subtile permettent de préserver notre corps physique, d’évoluer intérieurement sur le plan mental et de révéler  notre Etre spirituel, alors nous pourrons concevoir que nous n’aurons pas perdu de temps à une technique passionnante mais secondaire.

                                  JMT

Annexe: Tchouang-Tseu: Le boucher du Prince (Wikisource)

Le boucher du prince Hoei de Leang dépeçait un bœuf. Sans effort, méthodiquement, comme en mesure, son couteau détachait la peau, tranchait les chairs, disjoignait les articulations.
— Vous êtes vraiment habile, lui dit le prince, qui le regardait faire.
— Tout mon art, répondit le boucher, consiste à n’envisager que le principe du découpage.
Quand je débutai, je pensais au bœuf.
Après trois ans d’exercice, je commençai à oublier l’objet.
Maintenant quand je découpe, je n’ai plus en esprit que le principe. Mes sens n’agissent plus ; seule ma volonté est active. Suivant les lignes naturelles du bœuf, mon couteau pénètre et divise, tranchant les chairs molles, contournant les os, faisant sa besogne comme naturellement et sans effort. Et cela, sans s’user, parce qu’il ne s’attaque pas aux parties dures.
Un débutant use un couteau par mois.
Un boucher médiocre use un couteau par an.
Le même couteau me sert depuis dix-neuf ans. Il a dépecé plusieurs milliers de bœufs, sans éprouver aucune usure. Parce que je ne le fais passer que là où il peut passer.
— Merci, dit le prince Hoei au boucher ; vous venez de m’enseigner comment on fait durer la vie, en ne la faisant servir qu’à ce qui ne l’use pas.

 
 

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