Il y a un an disparaissait Jean-Daniel Cauhépé. Comme nous l’avons écrit par ailleurs, nous le considérions comme un grand frère car il avait commencé l’étude de la Voie bien avant nous et l’avait poursuivie toute sa vie.
Nous fîmes sa connaissance en 1970 au stage de Marseille organisé par la Fédération Française d’Aïkido (FFAD) durant une semaine. Nous avions été prévenu avec trois critères qui nous interpelèrent:
« Il a un Ki extraordinaire.
C’est un cherchant, (c’est-à-dire un chercheur spirituel).
Il est théâtral ».
Les renseignements s’avérèrent justes et n’étaient pas pour nous déplaire!
Etait-ce l’amorce ou l’annonce d’un lien, toujours est-il que nous fumes appelé comme Uke, et c’est là que nous fûmes secoué!
Mais faisons un retour en arrière.
Né en 1933, fils d’un Professeur de médecine, père de la stomatologie française, Jean-Daniel (JD) fit la guerre d’Algérie comme officier parachutiste.
C’était un guerrier!
Son boulot était de « détruire un nid de mitrailleuse » et le destin voulut que les balles sifflaient près de lui fauchant ses hommes et le laissant indemne.
On peut supposer que sa maitrise de la mort, une des qualités du Hara date de cette époque.
Il commença les arts martiaux par le Judo puis l’Aïkido avec son frère Yves devenant les premiers élèves d’André Noquet à son retour du Japon en 1958.
En plus d’être un guerrier au regard tranchant comme l’acier et au Kiaï terrible (les anecdotes sont impressionnantes), c’était un homme très cultivé ayant posé très tôt une recherche analytique qui sera à la base des publications suite aux synthèses en coopération avec A. Kuang. Homme de laboratoire plus qu’enseignant désirant partager, nous étions un peu ses « éprouvettes » grâce auxquelles il faisait ses expériences!
C’était déjà le cas lors de notre première rencontre où comme nous le disions, nous fûmes choisi comme Uke.
Les attaques ne lui convenaient pas du tout. Trop jeune et surtout trop tendre!
« Ah, la banane! »
Tout le monde fut choqué (cela nous fut rapporté) et nous aussi!
Mais non, ce n’était pas une insulte mais une motivation pour exciter Uke.
« Attrape la banane! »
Ah bon, fallait le dire. S’il n’y a que cela pour lui faire plaisir, alors allons-y!
Et là, le gentil Uke va devenir « méchant », hyper-yang type félin.
De cette expérience de dressage, nous garderons cette habitude au point d’être responsable d’accidents malheureux et regrettables lors d’examens sur des candidats qui n’avaient pas été dressés « la botte sur la tête ».
Ce qui nous attirait chez lui, ce n’est pas tant le technicien que l’artiste toujours dans la créativité et l’innovation. Il fut très tôt influencé par Tohei Koichi au point de ne pas retrouver l’influence de son professeur comme c’est généralement le cas. Ce n’était pas un artisan mais vraiment un artiste libre qui créait son Aïkido.
La rencontre en 1978 avec Tohei Koichi qui démontrait un Aïkido subtil plus les problèmes chroniques de fédération amenèrent la création d’un nouveau groupement (FFKA) avec comme référence le Ki et l’Aïkido de l’ancien chef instructeur de l’Aïkikai.
Hélas, une direction technique bicéphale n’est pas l’idéal et cette jeune fédération ne put résister aux pressions internes. Etait ce la seule raison? Certainement pas. Toujours est-il que nous nous retrouvâmes « orphelin » et comme il n’était pas question de retourner dans une autre fédération attirée par nos cotisations et sans aucune reconnaissance, le principe d’une Ecole autonome s’imposait.
C’est ainsi que naquit l‘Ecole Tenchi d’Aïkido en 1987, Ecole composée de Dojos semi-autonomes et sans directeur technique, mais ouvert à toute personnalité dont JD en particulier. Comme il n’était pas question d’être incorrecte, la droiture imposait de lui annoncer cette naissance lors d’un dîner… Sur le coup, nous fumes déçu par sa réaction mitigée, réaction que nous pûmes mieux comprendre des années plus tard en apprenant qu’il avait fondé son Ecole en …1986 avec notre ami Christian Laurenti. Le fait de ne pas avoir été invité à faire parti de ce groupe vu nos liens n’était pas un problème, mais le secret de cette création à l’origine et à posteriori resta surprenant.
Chacun est libre et maître de ses choix comme dans l’histoire de sagesse suivante:
« Un sage méditait au bord d’un ruisseau lorsqu’un scorpion entreprit de traverser le courant d’eau. Le voyant en difficulté et sur le point de se noyer, le sage le prit et le déposa mais ce faisant, le scorpion le piqua. Celui-ci, têtu, entreprit une nouvelle traversée et à nouveau commençait à se noyer quand le sage le sauva. Mais le scorpion le piqua encore. Un spectateur qui avait assisté à la scène s’exclama:
Pourquoi vous obstinez-vous à le sauver puisqu’il vous pique?
Et le sage répondit:
Sa nature est ainsi…
Si ma nature est bonne, pourquoi voulez-vous que je la change »?
Fidèles à nos principes, cela ne nous empêcha pas d’inviter JD en stage,
en séminaire à l’Abbaye en 1994,
et à l’occasion du 20e anniversaire en 2007 où différentes figures qui nous accompagnèrent au long de notre cheminement, nous firent la surprise de répondre à l’invitation « secrète » de Den.
Nous avons déjà expliqué pourquoi le principe d’une Ecole était préférable à une organisation lourde et multicentrée. Plus une structure administrative et relationnelle devient complexe, plus elle devient fragile. Nous ne pouvons donc qu’adhérer et encourager les initiatives de type Ecole autonome. Le principe Aïki est déjà difficile à réaliser pour l’individu mais pour un groupement, cela devient mission impossible!
Au-delà des organisations, des stages mémorables nous réunissaient comme à Trets (1982), mais surtout des soirées où ses talents de danseur s’exprimaient au grand jour (ou plutôt la nuit!).
Son déplacement « secret » en 1983 pour rencontrer Tohei Koichi en Italie ne fut pas un succès. Nous ne nous étendrons pas sur les raisons; disons simplement que la recherche du vide en Aïkido ne veut pas dire faire le vide autour de soi! Nous en ferons nous-même l’expérience 4 ans plus tard avec un entourage qui veut garder jalousement son sensei pour lui.
Etre maître en Aîkido est une chose, être maître dans la vie en est une autre!
Si une lanterne allumée brille plus facilement entourée de lanternes éteintes, la transmission de la lumière ne pourra pas se faire!
On comprend dès lors pourquoi l’influence de Tohei Koichi resta limitée en France et en Europe.
Ces liens qui n’arrivent pas à se nouer engendrent un point positif. Le chercheur reste un loup solitaire et il ne doit compter que sur lui pour avancer. C’était le cas de JD qui avait dépassé les influences des experts rencontrés pour s’approprier « son Aïkido » (transmission traditionnelle Shu Ha Ri).
Nous ne parlerons pas de l’homme en dehors de l’Aïkido étant du domaine privé. Les 18 derniers mois de sa vie furent à la fois très douloureux et à la fois très riche d’évolution spirituelle. Son épouse l’accompagna avec un dévouement extraordinaire de tous les instants digne d’admiration.
Même avec une pédagogie particulière, c’était un homme de transmission…de Ki.
C’est ce qui nous a séduit.
C’est ce que nous avons reçu.
C’est pourquoi nous lui en sommes reconnaissant.
Et même si tu ne danses pas sur les nuages,
Merci l’artiste!
JMT
La lecture fortuite de cet article, éveille en moi des souvenirs précis. J’étais alors l’assistant de Maître Jacques Pelletier, maître de grande valeur mais sans compromission aucune avec les fédérations et donc totalement méconnu, pour ne pas employer un terme plus péjoratif . Cette indépendance d’esprit, le mépris des honneurs l’avait guidé vers la Fédération Marseillaise, où j’ai rencontré plusieurs fois JD Cauhépé, par ailleurs assez proche de J. Pelletier . Dans cet article, je retrouve assez précisément mon sentiment d’une personnalité un peu mystérieuse, étonnante et très affirmée. Je retrouve ses postures très personnelles et ses techniques complètement épurées (photo de 1994). Je me souviens aussi d’un stage à Cogolin . En tous cas cette période et son influence avec d’autres ont laissé en moi l’adhésion à l’ AÏki-Do de Maître Tohei et les exigences sur lesquelles il l’a fondé.
Merci pour votre lecture.
C’est toujours une chance que de recevoir l’influence et la richesse d’un tel artiste au parcours loin des médias.
Le privilège de l’âge dans la pratique subtile fait que la technique devient dépouillée au point de devenir invisible et incompréhensible aux yeux du profane et du pratiquant inexpérimenté.
Au plaisir de se rencontrer,
JMT
Poitiers, années 2000. Uke pour quelques « passes ». Théâtral est le mot. L’ésotérisme tourne vite en saumure, mon seul reproche. Mais je retiens le chercheur et une maîtrise décomplexée de la verticalité, une première approche, pour moi, du kotodama. Il cherchait aussi à partager. Quant au cénacle des héritiers/initiés, j’ai eu l’occasion de le constater avec celui de Me nakazano, c’est un fait pour le malheur de la transmission. Ceci dit, ce sont aussi des précautions minimums face aux opportunistes de tout poil. Quand à l’héritage de Me Tohei, je n’en retiens qu’un, à ce jour: René Gourdon.