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Force, Beauté, Sagesse

S’il est un sujet récurrent dans le monde des arts martiaux en général et de l’Aïkido en particulier, c’est bien celui de l’efficacité.
Nous n’échappons pas à la règle et l’avons traité à travers plusieurs articles. Pour faire court et dans un but de synthèse, nous répéterons que l’homme et la vie humaine étant basée sur la relativité et sur l’impermanence, il serait illusoire de croire en une efficacité absolue.
Quand deux artistes martiaux s’affrontent, le vainqueur prouve seulement qu’à un instant t, il est meilleur que l’autre et non pas que son art est supérieur.
L’âge, la santé et donc la fin de vie auront toujours in fine le dernier mot!

Maître Ueshiba était-il invincible?
Maître Ueshiba Riait-il des grades?

Maître Ueshiba

Il fut défait par Takeda Sokaku lors de sa rencontre en 1910 ce qui l’amena à devenir son disciple et à étudier le Daïto-ryu.

Takeda Sokaku et le Daïto-Ryu

Takeda Sokaku et le Daïto-Ryu

Après sa première expérience du Satori en 1925 et la seconde en 1942 qui vit la naissance de l’Aïkido, il ne connut plus la défaite. La célèbre répartie du Fondateur:
« Si j’étais battu, l’univers serait détruit »,
traduit non pas un égo démesuré mais un état de conscience supra-humain et donc des capacités extra-ordinaires.
Ces différences seront sur les plans physique, technique, mental et aussi spirituel.

L’obsession de l’efficacité traduit une anxiété, une mentalité de compétition, sportive souvent, d’égo toujours, et une course à la pratique de multiples disciplines. S’il est intéressant d’avoir un bagage multidisciplinaire, il est fondamental d’avoir une connaissance profonde de son art, impossible si l’on papillonne.
Henry Plée dans ses écrits remarquables affirme que l’art ultime, sous-entendu quant à l’efficacité, est dans l’art des points vitaux donc une boxe. Peut-être si le physique et la technique sont dominants ce qui laisserait supposer que la violence aurait le dernier mot dans la recherche d’une certaine efficacité!?

Cependant, si l’efficacité ne doit pas être une obsession, il n’en reste pas moins vrai que ce doit être une base incontournable sinon autant faire de la gymnastique, de la danse ou du Hatha-yoga. Le Budo de par son origine martiale demande une base d’efficacité, condition nécessaire mais pas suffisante car ce n’est pas le seul objectif en tout cas pour Maître Ueshiba. Au delà de l’aspect pragmatique, la valeur éducative, l’acquisition de vertus morales et une recherche spirituelle font de l’Aïkido une voie que l’on peut qualifier d’holistique pour transcender l’homme ordinaire et lui permettre de devenir un Homme avec un grand H.

L’Aïkido est-il efficace?

La terre est une belle planète, dommage qu’il y ait l’homme.
L ‘Aïkido est un grand Budo, dommage qu’il y ait les Aïkidokas (mauvais humour)!
Le problème n’est pas l’efficacité de la discipline mais de ses pratiquants. Comme nous sommes dans la relativité, il y aura toujours des bonnes expériences comme des mauvaises, des réussites comme des échecs sans compter la chance (dixit Napoléon 1er) ou le destin.
Nous attirons l’attention sur les effets pervers de la pédagogie (mouvements décomposés) et des démonstrations où les attaques sont lancées de loin avec un Ma-aï anachronique allant même à éluder l’attaque arrière  et aussi … l’attaque par traitrise ce qui revient à étudier l’attaque du lutteur qui recherche le corps à corps. Une actualité récente nous rappelle que la gifle est une forme de yokomen-uchi et que ce n’est pas une attaque téléphonée avec changement de garde, pratique sur laquelle nous insistons notamment chez les seniors. D’une façon générale, l’efficacité est subordonnée à la vigilance et à l’intuition du danger.
La pédagogie, la recherche et le degré de maturité amènent l’enseignant ou l’ancien à montrer des failles voire un échec dans sa technique.
Il y aura toujours un phénomène physique susceptible de poser des conditions anormales et disproportionnées aux compétences par exemple une hyper laxité ligamentaire empêchant une immobilisation. L’échec en soi est une bonne chose car il permet l’humilité, la remise en question, donc source de progrès et évite l’arrogance. Il y a d’un côté le savoir et la connaissance, co-naissance (jeu de mots en français), et de l’autre, l’ignorance et la co… qui peut amener le rejet voire le mépris. Si nous réfléchissons bien, nous sommes tous des ignorants à un niveau ou un autre, le seul problème est d’avoir l’humilité et la lucidité de le reconnaître.
Là se pose la question: faut-il enseigner l’Aïkido subtil à tous quelque soit le niveau ou faut-il le réserver à partir d’une certaine expérience (10-15 ans)?
Les deux points de vue sont justes et sont probablement un faux problème. Nous sommes pour semer des graines en fonction de la terre et c’est elle qui donnera une germination à plus ou moins long terme … ou pas.

Pourquoi devons-nous aller au delà de l’efficacité martiale sans pour autant en faire abstraction?
L’Aïkido est une Voie spirituelle de source notamment taoïste.

Pour effectuer cette quête intérieure, il existe trois portes de conscience auxquelles il nous est proposé de frapper. Libre à nous si elles s’ouvrent de les franchir car nous sommes responsables de notre évolution.

Ces portes sont la Force, la Beauté et la Sagesse.

La Force, c’est notre Terre, notre matière, notre soutien qui nous supporte. Le mot matière vient de Mater Réa, qui a donné le nom Maria, Marie, la Terre Mère, la Panchen Mamma des Incas, la Vierge Marie. C’est le lieu  de gestation où dominent le physique et la technique.
Cette Force est basée sur notre Centre Terre, sur l’humilité, l’humus de la terre. C’est cette Force qui nous permettra de croître et d’atteindre la Beauté.

La Beauté va au delà de l’esthétique, au delà de nos sens pour réaliser notre nature spirituelle sans forme. Le geste Aïki est esthétique parce qu’il imite la nature et non parce qu’il recherche l’art pour l’art ou une beauté maniérée.
La beauté de l’Aïkido réside dans la  complémentarité des deux acteurs selon la règle Tao-Yin-Yang. Il faut être deux pour faire un Tao. La Vidéo « Adventure » montre Maître Ueshiba et Tohei Koichi avec un Uke américain et le résultat n’est pas aussi esthétique qu’avec les partenaires habituels.

Tohei Koichi recevant san-kyo

Tohei Koichi recevant san-kyo

Tout enseignant, tout démonstrateur sait qu’il pourra mettre en valeur son travail grâce à son partenaire et sa sincérité, sa fluidité, ses chutes… Maître Ueshiba avait des Uke favoris comme Tamura Nobuyoshi ce qui ne veut pas dire qu’il n’était pas capable de relever un défi avec toute forme d’agression et d’agresseur y compris en utilisant le « Qi-gong de la chemise de fer » sur un Tsuki.
Nous devons respecter notre architecture intérieure autant que l’architecture extérieure.
La résolution des conflits passe par notre architecture intérieure qui rassemble le langage et la parole, la gestuelle et la technique qui est aussi langage corporel avant d’atteindre le silence et la sagesse (rayonnement du Ki).
Frapper à la porte de la Beauté, c’est frapper à la porte de la «Chambre du Milieu» pour donner et recevoir l’amour spirituel (Kokoro). C’est le soleil dans notre Coeur qui brille quelque soit les nuages mentaux qui peuvent le cacher.
Alors le petit moi disparaît et  nous sommes prêts à frapper à la Porte de la Sagesse.

La Sagesse est à la fois un état de conscience et un objectif.
Grâce à l’unité du corps et du mental, de la vacuité associée à une gestuelle dépouillée voire invisible, l’Aïkido opère en nous une véritable transmutation puis une sublimation vers l’Homme Véritable.
L’Aïkido transmet une influence spirituelle par l’intermédiaire de gestes, de touchers, de sons, de rythme et de silence. Ce sont tous ces éléments qui opèrent en nous cette transmutation faisant de nous des praticiens sans pour autant empêcher la spéculation faisant de nous des théoriciens c’est-dire des contemplateurs.

Les Taoïstes décrivent 3 Tan-Tien, les Tibétains 5, les Indous 7.

Force, Beauté et Sagesse sont en relation analogique  avec ces 3 Centres.
Etre maître en technique, c’est assurément avoir une maitrise du centre abdominal (Koshi), mais pas obligatoirement du Hara qui est centre de conscience avec comme vertu première l’humilité.
Cependant, cultiver un Centre sans les deux autres, c’est comme s’asseoir sur une chaise qui n’aurait qu’un pied.
Une recherche spirituelle sans les vertus du Coeur n’est que simulacre.
La pratique d’un Budo sans efficacité est un végétal sans racines, et sans une quête spirituelle une terre sans soleil.
Force, Beauté et Sagesse sont à la fois colonnes qui nous soutiennent, portes de conscience, barreaux de l’échelle de Jacob nous permettant une descente comme une montée ce qui explique la relativité de l’ordre selon le point de vue humain ou supra-humain où l’on se place et selon les Traditions.

Sur le plan horizontal, l’équilibre se trouve au Milieu  Juste.
Sur le plan vertical, l’équilibre se trouve au Centre, mais quel Centre?
Le troisième axe est à la fois descente et montée, un pont entre notre Terre et notre Ciel.

Sommes-nous prêts à dépasser l’illusion de ces directions spatiales et à répondre à cette question?
« Où aspire t-on »?
Sommes nous prêts à tirer la leçon des «trois petits cochons et du grand méchant loup», autre histoire de sagesse?
Sommes nous prêts à cultiver Force, Beauté et Sagesse et répondre à l’ultime question:

« Quel est ton Nom »?

JMT

 
 

5 commentaires

  1. Patrick

    Une belle inspiration !
    Merci Jean.
    Patrick

  2. Merci Jean-Marie,
    Ce bel Enseignement nous invite, avec l’Aïkido, à développer tout le potentiel de notre existence humaine.
    Cette transmutation est liée à une gestuelle dont la Beauté se qualifie souvent dans la Joie de la pratique.
    Mais n’est-il pas difficile de garder l’immobilité dans le mouvement?
    Et cultiver le mouvement dans l’immobilité -yoga-méditation- n’en sont-ils pas les corollaires?
    Patrice

    • Bonjour Patrice,
      L’Aïkido est d’une certaine manière une méditation dynamique basée sur la Conscience Immobile (Fudoshin). Autour du Centre vont tourner les éléments, notre univers, l’univers.
      C’est la connaissance de notre Centre qui va engendrer naturellement la maitrise des dits éléments et de leurs mouvements.
      Merci pour ta réflexion,
      JMT

  3. Girod Olivier

    L’Aïkido est très efficace, avant de pratiquer cette art de vivre, j’avais tendance à régler l’agressivité de mon prochain par « tu me cherches, tu me trouves » et effectivement cela ce soldait par me faire « bouffer » le lobe de l’oreille, arcade sourcilière éclatée, cuir chevelu ouvert, dents cassées mais toujours victorieux… La bonne affaire, mais après quelques années de pratique j’ai découvert qu’il était ridicule de vouloir dominer un adversaire par la force, d’être dans la dualité et la confrontation, qu’il suffisait d’accepter l’agression et d’accueillir l’agresseur et comme par magie je n’ai plus eu besoin de me battre et les agresseurs potentiels ne font plus que des simulacres d’agressions, et il en ressort un sentiment de victoire sur moi-même, ceci prouve bien l’efficacité de l’Aïkido.
    Olive

  4. Merci pour ton témoignage,
    JMT

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