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Les grades (2e partie)

De notre expérience à la fois administrative et technique, que faut-il retenir sur les grades?

La première leçon apparut lorsque des «gradés» d’un groupe demandèrent à ce que la Fédération décerne un grade supérieur à leur leader. Ils voulaient pouvoir passer des grades mais estimaient qu’un Dan de différence avec lui était anormal. Belle leçon d’humilité!?

Sur le plan technique, une règlementation permet une certaine homogénéisation et une certaine cohérence mais entraine un nivellement plutôt vers le bas (bachotage) avec standardisation de normes pas forcément comprises par ceux en charge de les appliquer!

Par exemple, l’avancée de la jambe en terminaison d’Irimi-nage peut être secondaire et disparaître si l’on dépasse le physique et que la capture du Ki et sa conduite autorisent  l’aspiration.

Ayant constaté  que des candidats au 3e dan n’avaient travaillé que le programme spécifique et avaient complètement oublié les épreuves des degrés précédents, nous avions imposé le questionnaire sur l’ensemble cumulatif  des grades avec nécessité d’avoir le niveau adéquat. Un «Ikkyo» de 1er Dan n’a rien à voir avec le même mouvement au 3e Dan!

L’Aïkido est un art pratiqué par des artistes martiaux avec ou sans talent, et sont par conséquent des créateurs qui doivent idéalement s’approprier leur art (principes SU, HA, RI).

Rien ne doit être figé!

L’Aïkido est un art pratiqué par des artistes martiaux libres comme le loup de la fable et non attachés à une chaine comme le chien avec une pitance pour récompense!

L’effet de masse amène malheureusement un blocage de l’évolution et, au risque de passer pour un passéiste, nous regrettons l’époque des stages où une trentaine de pratiquants pouvaient profiter d’un expert. 10 ans après, Saito Morihiro était obligé de démontrer son kata des 31 formes sur une pile de tatamis pour être vu des 500 stagiaires sur 700 m2 et dont certains avaient quatre cours!

Pourquoi un grade?

Notons que le grade n’est pas réservé aux arts martiaux par exemple le jeu de Go, l’Ikebana…

Ceci dit, quel ne fut pas notre étonnement lorsqu’en 1971, une carte de visite nous fut remise avec la mention «6e Dan Zen»!

Un grade peut être donné pour des raisons totalement diverses, à savoir des critères:

-techniques (relativement faciles pour les premiers Dan),

-honorifiques, ancienneté, âge,  services rendus, don à l’association, personnalités publiques, artistes (Elvis Presley) etc.

En fait, ce n’est plus un grade mais une décoration.

Un grade  est une reconnaissance, une sorte de contrat moral entre celui qui le donne et celui qui le reçoit, et devrait rester caché dans notre coffre-fort intérieur, loin d’une exposition vestimentaire ou publicitaire. C’est le problème de l’enseignant dès lors qu’il a besoin d’élèves surtout pour un professionnel.

Un chef d’école devrait abandonner les grades pour éviter de dépendre de mesure administrative de son conseil d’administration, du ministère ou du comité olympique.

A ce propos, rappelons qu’une décision du Conseil d‘Etat en 1998 après plainte du Syndicat des Professeurs d’Arts Martiaux a confirmé que les grades Dan n’étaient pas le monopole des fédérations délégataires. De plus, il est dit que «nul ne peut se prévaloir…» et comme nous privilégions la non publicité de son grade, nous pensons être tout à fait légaliste.

Un grade devrait être une affaire d’Ecole et de son Maître lié à son enseignement.

N’est ce pas choquant que les élèves d’un expert soient examinés par des juges ayant peu d’expérience comparés à l’expert?

Tout aussi choquant, un pratiquant ayant un grade fédéral ou ministériel remplace le même grade avec le «Label» renvoyant l’autre aux oubliettes. C’est quelque peu méprisant pour le label français surtout que toute organisation est amenée à décerner un grade pour les motifs divers et variés déjà cités.

Toute comparaison de grades entre écoles n’a pas de sens et allons plus loin, même au sein de la même école, on ne devrait jamais comparer les pratiquants de même grade. Chaque grade, chaque gradé est unique.

Le label de notre Ecole vaut ce qu’il vaut et n’a de valeur qu’au sein de notre groupe.  Chacun est libre de le refuser ou de chercher mieux ailleurs, mais s’il n’a pas de valeur, l’honnêteté est de ne pas l’utiliser pour sa publicité.

Inversement, un pratiquant issu d’un autre groupe est accepté avec son passé notamment son grade. C’est une question de tolérance et de politesse. C’est la pratique et le temps qui feront la mise à jour.

Respecter l’autre dans son grade, ses qualités… et ses défauts. Dire du mal de l’autre (médire c’est dire du mal qui est vrai par opposition à calomnier, dire du mal qui est faux), c’est une façon détournée de dire du bien de soi.

Par principe, on peut toujours apprendre de qui que ce soit même s’il n’y a pas d’affinités selon l’adage:

 «même une pendule arrêtée dit la vérité deux fois par jour».

Derrière cette mentalité se cache l’obsession de la compétition qui, si elle n’existe pas dans notre art, prend une allure détournée.

C’est autre chose que de donner ou recevoir un Dan ou un Kyu d’un Adepte que l’on suit, que l’on respecte et que l’on aime!

Quitte à conserver les grades, autant le faire sérieusement avec un rituel d’examen, un rituel d’annonce et de remise du certificat selon un protocole afin de créer une transformation intérieure amorcée par la préparation et l’attente de l’épreuve. Ceci est d’autant plus vrai que le pratiquant est jeune. Un examen est-il vraiment nécessaire à partir d’un certain âge?

En fait, un grade est une estimation relative. Sa valeur est celle qu’on  veut bien lui donner. A la question (indiscrète):
« quel est votre grade? »
la meilleure réponse faite au Japon est:
«celui que vous voulez» (J. Greslé).

Comme dans toute activité ayant pour support le corps physique et le mental, il y a des jours sans et des jours avec. Nous ne pouvons échapper au paramètre santé et comme le dit un proverbe japonais,

«un haut gradé qui a mangé beaucoup de cerises vertes est un haut gradé qui trône dans son jardin»!

Pour paraphraser un Sage hindou: que devient votre grade pendant votre sommeil profond?

Allons plus loin: qui se souviendra de nous dans un siècle?

O Sensei qui, bien sûr était au-dessus de ces misères de l’égo, disait qu’il valait mieux passer des «Dan d’amour».

Peut-être aurait-il dû ne pas suivre les autres Budo et éviter les futures polémiques («seul à avoir reçu le 10e Dan») et le besoin déplorable à donner des titres et autres étiquettes (disciple préféré, dernier disciple, premier élève etc, etc).

Jésus avait douze disciples dont un qui s’est dégradé tout seul!

Actuellement le centre mondial a limité au 8e dan, mais est-ce une coïncidence et/ou le fait que l’espérance de vie s’allonge, le titre de Shihan se répand.

Tant mieux si cela aide au développement …qualitatif de l’Aïkido.

La recherche du pouvoir est une perversion narcissique dit la psychologie et passe par un réseau. Maître de la pseudo lumière avec souvent une personnalité psychanalytique trouble, nous sommes loin des «maîtres de l’ombre» qui restaient anonymes, souvent sans disciples, avec un métier et une recherche intérieure loin des médias, loin du monde.

L’effet pervers des grades est de développer ce que l’on doit abandonner à savoir l’égo. Nous aimons bien la métaphore du tableau de la vache ou de l’éléphant  soit le mental domestiqué par l’Esprit dans le bouddhisme Zen ou la pensée de R. J. Godet sur la transformation de la ceinture blanche qui devient noire puis redevient blanche avec le temps et la pratique.

L’Aïkido est une Voie de dépouillement et nous devons passer du lourd au léger, du visible à l’invisible, de la matière à l’énergie, du physique au spirituel en effaçant le mental.

Les grades sont finalement un test de notre capacité à se dépouiller de ce que nous croyons être la réalité: l’égo.

                                                                                                                                           Jean-Marie Tung

 
 

4 commentaires

  1. Benoît Hiss

    Bonjour Jean Marie,
    Les articles sur « les grades », 1ère et 2ème partie, m’ont beaucoup plu.
    Ils permettent de bien faire la part des choses.
    J’ai vraiment apprécié le rappel des 5 stades « historiques », définis au début du premier article. Cela me permet de mieux apprécier l’horizon de la pratique…
    Enfin, deux formules qui ont fait mouche lors de ma lecture !
    « Quel est votre grade ? Celui que vous voulez »
    « Que devient votre grade pendant votre sommeil profond ? »
    Parfait !
    Le 13 avril 13, Benoît.

    • Bonjour Benoit,
      Heureux de partager cette sensibilité et notre passion commune.
      Au plaisir de continuer à progresser ensemble sur la Voie.
      Bien amicalement,
      JMT

      • Bonjour Jean-Marie,
        Je suis tombé par hasard sur votre article que je trouve particulièrement intéressant. Pratiquant le taekwondo depuis un peu plus d’une décénnie, je pense que votre réflexion peut s’appliquer à l’ensemble des arts martiaux… Comme le disait le maître de mon maître, une ceinture sert surtout à maintenir le pantalon ! La signification d’un grade n’a effectivement de sens que par rapport à celui qui le décerne, à savoir entre le maître et son élève… La question se pose néanmoins pour les très hauts-gradés (6e dan et plus) et la nécessité d’un examen. Quand on sait qu’il est possible de payer pour obtenir un grade supérieur, quelle valeur peut-on lui accorder ?
        Votre article mériterait d’être diffusé auprès de certaines instances fédérales.
        Cordialement,
        Daniel

        • Bonjour Daniel,
          C’est bon de savoir que l’on n’est pas seul à avoir une certaine éthique. Un grade comme n’importe quel outil a la valeur de celui qui l’utilise et le porte. En cela je suis pour.
          Pour les hauts grades, il est certain que le problème se pose en haut de la pyramide, et le fait d’y renoncer quand on est chef d’Ecole résoudrait la question. Ne serait-ce pas la manifestation de la sagesse taoïste ou hindouiste qui considèrent que toute pensée doit s’évanouir pour laisser apparaître la vacuité après avoir cherché l’origine de la pensée? Et le grade n’est-il pas une pensée?
          Bien cordialement,
          Jean-Marie

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