Personnage clef du développement de l’Aïkido en France, Abe Tadashi présente une personnalité très particulière dans le monde des arts martiaux.
Nous ne l’avons pas connu, aussi ferons-nous appel aux témoignages de ses élèves comme Pierre Warcollier et ses fils Alain et Jean-Pierre.
Il est né en 1926, issu d’une riche famille dont le père, homme d’affaires et élève de Maître Ueshiba, participe au financement du Kobukan Dojo.
Tadashi débutera l’Aïkido à l’âge de 16 ans en 1942 et deviendra Uchi-deshi à Iwama. Notons que 1942 correspond à la deuxième expérience spirituelle d’O Sensei.
Il sera nommé 6e Dan en 1952.
Il n’échappe pas à la situation de guerre où même les enfants sont amenés à participer jusqu’au bout. Officier de marine, il sera enrôlé (manipulé?) comme Kamikaze sur les fameux Kaiten (traduction: « Départ pour le ciel »), torpilles transformées en sous-marin avec une tonne et demi d’explosifs qui furent un échec pour le Japon. il sera épargné par l’arrêt de la guerre.
En 1952, Maître Ueshiba l’envoie en France un an après la visite de Mochizuki Minoru (1907-2003).
Il a 26 ans, étudie le droit et introduit l’Aïkido grâce à Kawaishi Mikinosuke (1899-1969) le « père » du Judo en France.
Sur ses conseils, il mettra au point une codification française (cf bibliographie).
Il développera l’Aïkido en France et en Europe jusqu’à son retour en 1960.
La pratique d’Abe correspond à la période d’évolution symboliquement représentée par un cercle dans un carré (Aïki-budo) qui succédera à la période Daïto-Ryu Aïki-jutsu des années 1920-1930 (aspect carré), avant la période 1950-1960 (symbole du cercle). Cette façon de découper l’évolution de l’Aïkido est schématique et correspond à l’évolution mentale et spirituelle du fondateur. Si Kishomaru a une personnalité propre et « son Aïkido » qui a influencé les futurs cadres, on ne peut dire pour autant que l’évolution circulaire et spirale de l’Aïkido soit de son seul fait sous prétexte que le fondateur se partageait principalement entre Iwama et Tokyo. Cette évolution est d’abord et avant tout l’oeuvre de la conscience hors du commun du fondateur.
A Iwama, ses condisciples s’appellent Tohei Koichi (1920-2011) qui commença en 1939 (était-il « carré » pour autant?)
et Saïto Morihiro (1928-2002) qui commença en 1946.
Sa réputation de « tueur » et de tête brulée était-elle due à son mental de guerrier destiné à mourir à 18 ans au combat?
Quelques anecdotes semblent l’infirmer.
Au Japon, Abe qui aimait l’alcool et la bagarre, se plaisait à tester ses connaissances martiales dans les bas-fond. Le lendemain d’une rixe, il se présenta devant Maître Ueshiba et raconta fièrement:
« Ils étaient six, armés de couteaux et je n’ai eu que cela »
montrant une estafilade sur son avant-bras.
« Vous n’avez rien compris à l’Aïkido »,
fut la réponse d’O Sensei!
Le jeune Tadashi avait beaucoup d’admiration pour le fondateur et aimait passionnément l’Aïkido et il voulait rivaliser avec Tohei. Il avait l’obsession de le vaincre et il échoua dans ses défis notamment à Osaka. Le seul témoin de cette défaite fut son neveu, Yamada Yoshimitsu, alors adolescent, qu’il frappa sous le coup de la rage et de l’humiliation! Celui-ci devint Uchi-deshi en 1955 puis émigra aux Etats-Unis.
Pierre Warcollier nous racontait qu’il l’avait félicité d’avoir esquivé son attaque au bâton car selon ses mots:
« Moi, mortel à 6 mètres! »
En France, il ne s’était pas assagi. En sortant d’un stage et voyant la voiture neuve d’un pratiquant, il la défonça d’un tsuki (bien que ne pratiquant pas le Karaté, ses mains étaient déformées au niveau des Kento par le makiwara):
« Ah Ah, voiture neuve«
dit-il en rigolant et en sortant des billets de banque pour le malheureux propriétaire qui ne pouvait que protester!
Une autre fois:
« Nous aller bois (le bois de Vincennes).
Un seul revenir! »
Son regard de félin hyper yang ne passait pas inaperçu comme dans ce restaurant où rendez-vous avait été pris pour régler un différent avec des gens du milieu qui préférèrent prendre la fuite en le voyant.
Tout laisse supposer que ses affaires à la fin de sa vie l’amena à fréquenter le milieu. Une photo le montre entouré de …deux gardes du corps!
A son retour au Japon, en 1960, il critiqua l’évolution circulaire et considérée par lui comme « féminine », ne reconnaissant pas « son Aïkido » carré et guerrier. Il refusa le 7e Dan, rendit ses certificats et quitta l’Aïkikai.
Les années suivantes verront l’arrivée d’experts délégués pour propager l’Aïkido en occident à partir de la France:
1961: Noro Masamichi (1935-2013)
1962: Murashige Aritomo (1895-1964)
1963: Nakazono Mutsuro (1918-1994)
1964: Tamura Nobuyoshi (1933-2010)
JMT
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